Chouaib Sahnoun
Pénuries, insalubrité, corruption et absentéisme : le système hospitalier public marocain traverse une crise profonde. Depuis la mi-septembre, le mouvement GenZ 212 multiplie les manifestations pour dénoncer la dégradation des services de santé et réclamer des réformes urgentes.
Tout est parti d’une vidéo diffusée le 16 septembre sur TikTok. Tournée à l’hôpital Hassan II d’Agadir, elle montre des toilettes insalubres, des déchets jonchant le sol et des chats errants dans les couloirs.
« Est-ce que les malades marocains méritent ça ? », s’indigne la voix du vidéaste.
Ces images, largement relayées sur les réseaux sociaux, ont suscité l’indignation et relancé le débat sur l’état du système de santé public. Dans les rues, les manifestants scandent : « Nous voulons des hôpitaux, pas des stades ! », fustigeant les investissements massifs consacrés aux préparatifs de la CAN 2025 et de la Coupe du monde 2030, alors que les infrastructures sanitaires se dégradent.
La colère a été ravivée par la mort de huit femmes en août dernier à la maternité du même hôpital, rebaptisé par certains « l’hôpital de la mort ».
Selon un rapport du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) publié en 2024, le Maroc consacre entre 6 et 7 % du budget de l’État à la santé, loin de l’objectif de 15 % fixé par la Déclaration d’Abuja de l’Union africaine.
Le déficit de personnel reste criant : à peine 2 300 médecins exercent dans le secteur public, dont la moitié concentrée entre Rabat et Casablanca. Le CNDH estime qu’il en faudrait près de 32 000, ainsi que 65 000 infirmiers, pour répondre aux besoins de la population.
« Le simple état des hôpitaux suffirait à vous rendre malade », confie El Mehdi, étudiant en médecine. « Dans certains établissements, la stérilisation se fait à la Bétadine, faute d’autoclave. Les gants sont lavés et réutilisés. »
Dans les zones rurales, la situation est encore plus préoccupante. « Certains dispensaires n’ont ni médecin, ni matériel », rapporte Hajar, patiente de Casablanca. «Les ambulances transportent les malades avec des véhicules non équipés.»
La corruption est également pointée du doigt. D’après une étude menée en 2023 par l’Instance nationale de la probité et de la lutte contre la corruption (INPPLC), 68 % des citoyens estiment que ce fléau est « très répandu » dans le secteur de la santé.
« Aux urgences, certains agents exigent de l’argent pour faire passer les patients en priorité », témoigne El Mehdi.
L’absentéisme des médecins aggrave la situation : beaucoup exercent dans des cliniques privées pendant leurs heures de service dans le public. « Aux urgences, il n’y a de médecins.»
Le manque de contrôle favorise les dérives. Plusieurs témoins évoquent des pratiques de dissimulation avant les visites ministérielles : « À l’hôpital de Safi, on nous a demandé de ne pas toucher aux nouvelles machines reçues avant la venue du ministre. Elles sont restées emballées », raconte un médecin.
Des images diffusées sur les réseaux montrent en effet des équipements neufs encore sous plastique à l’hôpital d’Agadir.
Face à la montée des critiques, le ministre de la Santé, Amine Tahraoui, a annoncé une réforme nationale du système de santé. Le plan prévoit la construction d’un nouvel hôpital universitaire, la création de 3 500 lits supplémentaires, la rénovation de 1 400 centres de santé et la modernisation des hôpitaux régionaux.
Mais les annonces peinent à convaincre. Les jeunes du mouvement GenZ 212 demandent la démission du ministre, lui reprochant son manque d’expérience dans le domaine médical.
Dans les hôpitaux, la tension entre patients et soignants ne cesse de croître.
« C’est épuisant de travailler sans moyens », confie Yasmine, médecin au CHU Ibn Rochd de Casablanca. « Nous avons des spécialistes compétents, mais sans matériel, nous sommes impuissants. »
Les incidents violents se multiplient : « Le bureau et la chaise de la salle d’admission sont fixés au sol, pour éviter qu’ils soient utilisés comme projectiles », explique-t-elle.
Pour El Mehdi, la perte de confiance est désormais profonde :
« Les Marocains vont à l’hôpital public par nécessité, pas par choix. Ils n’y croient plus. »
Les hôpitaux publics au bord de l’asphyxie
