Chouaib Sahnoun
Alors que le ministère de l’Éducation nationale annonce l’ouverture des demandes de retraite anticipée à partir du 27 octobre, le corps enseignant s’interroge sur les véritables intentions de cette mesure. Entre soulagement administratif et inquiétude sociale, la décision relance le débat sur la crise silencieuse de l’école publique marocaine.
Le ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports a publié une circulaire officielle ouvrant la voie à la retraite anticipée, dite « retraite proportionnelle », pour les fonctionnaires du secteur de l’enseignement.
Les intéressés auront du 27 octobre au 5 novembre 2025 pour déposer leurs demandes sur la plateforme dédiée. retraite.men.gov.ma.
Selon le ministère, cette opération s’inscrit dans une démarche proactive de gestion des ressources humaines, afin de «préparer à l’avance les effectifs et garantir une rentrée fluide».
Les départs effectifs sont prévus à partir du 31 août 2026, date susceptible d’être ajustée selon les situations administratives individuelles.
Mais sur le terrain, la mesure suscite méfiance et désillusion.
De nombreux enseignants y voient une manœuvre pour réduire la masse salariale et évacuer les plus anciens, sans réelle stratégie de remplacement ni politique de recrutement ambitieuse.
« On parle d’anticipation, mais en réalité on prépare un vide éducatif », déplore un professeur de mathématiques à Casablanca.
Les demandes devront être saisies et validées exclusivement en ligne, via le portail officiel.
Les enseignants devront renseigner leurs données personnelles, imprimer leur dossier, le signer et le faire viser par leur supérieur hiérarchique.
Le tout accompagné de pièces justificatives numérisées : copie de la carte nationale, attestation bancaire, fiche d’informations et, si nécessaire, justificatif de service civil.
Pour être éligible, le fonctionnaire doit :
être titulaire de son poste,
et avoir accompli au moins 30 années de service effectif au 31 août 2026.
Les périodes de suspension, de disponibilité ou de sanction ne sont pas comptabilisées.
Le ministère a fixé un calendrier rigoureux :
Validation des dossiers par les directions provinciales : 10 novembre 2025,
Validation régionale par les académies : 13 novembre 2025,
Décision finale des commissions régionales : 19 novembre 2025,
Transmission à la Direction des ressources humaines : 27 novembre 2025.
Les enseignants pourront retirer leur demande jusqu’au 20 février 2026, après quoi tout désistement sera refusé.
Le ministère justifie ce verrouillage par la nécessité de publier les décisions de radiation au moins six mois avant la date effective du départ.
Pour beaucoup d’acteurs du secteur, cette vague de départs annoncée risque d’aggraver la saignée déjà visible dans les salles de classe.
Depuis plusieurs années, les enseignants expérimentés quittent massivement le système, souvent épuisés par la charge de travail, la bureaucratie et la dévalorisation du métier.
« C’est une hémorragie silencieuse », commente un syndicaliste du secteur.
« Les professeurs partent avec leur expérience et leur passion, et le ministère n’a pas encore trouvé comment les remplacer. »
Sur les réseaux sociaux, les réactions ne se sont pas fait attendre :
« Ce gouvernement vide nos écoles de leurs cadres expérimentés. Il faut réinvestir dans l’humain avant de penser à la comptabilité. »
« Après 30 ans de service, qu’ils partent dignement, mais qu’on assure la relève », nuance un autre enseignant.
Cette mesure intervient dans un contexte tendu : salaires gelés, retards de promotion, précarisation des jeunes contractuels, et crise de confiance entre le corps enseignant et le gouvernement.
Les syndicats parlent d’un « épuisement collectif », tandis que plusieurs analystes y voient un symptôme de désengagement de l’État vis-à-vis de l’école publique.
Pour le sociologue de l’éducation Hassan El Ghali,
« la retraite anticipée devient une échappatoire, un acte de survie professionnelle. Ce n’est plus un choix, c’est une fuite. »
Loin d’être une simple procédure administrative, cette ouverture du départ anticipé révèle les fractures profondes d’un système éducatif en quête de sens.
Tant que la question de la valorisation du métier d’enseignant restera secondaire, les départs précoces continueront d’affaiblir l’école publique marocaine.
Un constat amer : le Maroc risque de perdre ses maîtres avant d’avoir formé leurs remplaçants.
Retraite anticipée dans l’enseignement : le ministère ouvre la porte, les enseignants tirent la sonnette d’alarme
