Maroc : le divorce, symptôme d’une société en recomposition

24 أكتوبر 2025
Maroc : le divorce, symptôme d’une société en recomposition

Chouaib Sahnoun
Plus de 400 divorces quotidiens secouent le Royaume, entre désenchantement conjugal, pressions économiques et quête d’émancipation, la famille marocaine se redéfinit dans la douleur.
Le chiffre a de quoi interpeller : plus de 400 divorces sont enregistrés chaque jour au Maroc.
Le rapport annuel 2024 du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) tire la sonnette d’alarme : jamais le pays n’a connu autant de séparations.
Derrière cette statistique apparemment froide, c’est toute une transformation sociale qui s’opère, silencieuse mais profonde, révélant une crise du modèle conjugal traditionnel et une mutation accélérée des rapports hommes-femmes.
En 2024, les tribunaux marocains ont enregistré 40 214 affaires de divorce et 107 681 dissolutions de mariage. Autrement dit, plus de 147 000 unions rompues en une seule année.
Les divorces par consentement mutuel représentent désormais 96 % des cas, illustrant une tendance vers des séparations plus concertées, mais aussi une judiciarisation massive des relations familiales.
Le Tatliq ,procédure de dissolution pour désaccord , constitue à lui seul 97 % des affaires de dissolution. Une option préférée des couples car plus souple et moins contraignante que le divorce formel, ce dernier exigeant notification, autorisation et frais administratifs.
L’article 212 du Code de procédure civile facilite d’ailleurs cette voie, en permettant à la femme de saisir le tribunal du lieu de son choix, un progrès juridique souvent salué par les associations féministes.
Mais cette souplesse traduit aussi un paradoxe : plus le droit s’adapte, plus la rupture s’installe comme norme. Le mariage se vide de son sens sacré et devient une institution négociable, voire provisoire.
Le divorce au Maroc n’est plus le tabou qu’il fut. Il est désormais socialement toléré, voire revendiqué, notamment par les femmes.
Selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP), les femmes âgées de 45 à 49 ans représentent 68 % des divorcées. Un chiffre révélateur d’une génération qui a connu l’expansion scolaire, la massification du travail féminin et l’accès accru à la sphère publique.
Le divorce devient, pour beaucoup, un acte d’autonomie, un refus du compromis forcé.
Mais l’émancipation ne dit pas tout. La montée des divorces est aussi le reflet d’une crise économique et existentielle.
Le chômage, la flambée du coût du logement, la migration forcée, l’endettement chronique et l’explosion des réseaux sociaux érodent les fondements du couple.
L’amour s’y heurte à la précarité, la promesse conjugale à la fatigue du quotidien.
« Le mariage marocain est devenu un espace d’attentes déçues », analyse une sociologue à Casablanca.
Les jeunes couples, souvent issus de milieux modestes, confondent romantisme et stabilité matérielle, avant de découvrir que l’un ne garantit jamais l’autre.
Autre facteur souvent occulté : la transformation numérique des rapports affectifs.
L’hyperconnexion, les échanges virtuels et la comparaison permanente avec d’autres modèles de vie participent à une déstabilisation des couples.
Les réseaux sociaux alimentent à la fois la suspicion, la jalousie et le fantasme d’un ailleurs amoureux toujours plus accessible.
Ainsi, le «like» est devenu une arme de tension conjugale, et l’écran un tribunal silencieux où s’évaluent loyauté, désir et reconnaissance.
Cette vague de séparations met à nu les limites du modèle patriarcal marocain, longtemps fondé sur la hiérarchie et la dépendance économique.
Le Code de la famille, ou Moudawana, révisé en 2004, a ouvert la voie à une plus grande égalité juridique, mais sans accompagnement social ni transformation culturelle profonde.
Dans bien des foyers, l’égalité proclamée reste théorique, et les tensions liées à la redistribution des rôles ,entre mari, épouse, belle-famille , nourrissent l’épuisement conjugal.
Le Maroc contemporain oscille ainsi entre modernisation du droit et stagnation des mentalités.
Les femmes revendiquent leur liberté, les hommes peinent à redéfinir leur rôle, et l’État se contente souvent d’ajuster les procédures plutôt que d’en traiter les causes.
Face à cette épidémie de ruptures, les experts appellent à repenser la prévention conjugale :
– Mise en place de sessions de préparation au mariage,
– Renforcement du rôle des travailleurs sociaux,
– Introduction de programmes de médiation familiale obligatoires avant tout passage devant le juge.
Mais au-delà de la technique juridique, c’est le sens du lien conjugal qui mérite d’être redéfini.
Le mariage marocain du XXIᵉ siècle n’est plus seulement un pacte religieux ni un contrat social : il est devenu un espace de négociation entre amour, autonomie et survie.
Le divorce n’est pas une pathologie : il est le miroir d’une société en transition, d’un Maroc tiraillé entre la fidélité aux valeurs traditionnelles et la réalité d’un monde mondialisé.
Sous le vernis de la modernité, il révèle une question plus profonde :
comment aimer, durer et coexister dans une société où tout, jusqu’au sentiment, semble devenu instable ? Quelques chiffres clés (2024)
40 214 divorces enregistrés
107 681 dissolutions de mariage
96 % de divorces par consentement mutuel
+33,3 % de divorces prononcés par le juge
Tranche d’âge la plus touchée : 45-49 ans
68 % de femmes parmi les divorcés

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