Chouaib Sahnoun
Quatre bassins en alerte rouge, barrages à 35 % ,le pays s’enfonce dans une crise hydrique aux lourdes conséquences sociales
La situation hydrique du Maroc atteint un seuil critique. Alors que le taux de remplissage national des barrages est tombé à 35,3 %, quatre bassins fluviaux sont désormais placés en alerte rouge. Seul le barrage d’Oued El Makhazine, dans le nord du pays, affiche encore un niveau rassurant (86 %), un cas isolé dans un paysage de sécheresse généralisée.
Mais au-delà des chiffres techniques, c’est la vie quotidienne de millions de Marocains qui est bouleversée. Selon le dernier rapport d’Afrobarometer, près de quatre citoyens sur dix (39 %) déclarent avoir manqué d’eau propre « de temps en temps » ou « souvent » au cours de l’année écoulée.
L’étude établit un lien clair entre insécurité hydrique et pauvreté vécue. Si le Maroc reste, sur le papier, l’un des pays africains les mieux classés en matière de pauvreté ressentie, cette façade statistique masque une réalité plus amère : l’accès à l’eau devient un marqueur social.
Les chiffres révèlent un paradoxe : 24 % des Marocains ont manqué d’eau «plusieurs fois ou toujours » en 2024, et 21 % jugent la qualité du service d’approvisionnement « mauvaise ou très mauvaise ». Pourtant, le pays figure au deuxième rang continental en termes de « pauvreté vécue » la plus faible, juste derrière les Seychelles.
Autrement dit, le Maroc n’est pas officiellement pauvre, mais il a soif. Des milliers de foyers, notamment ruraux, se débrouillent entre citernes, camions-citernes et bouteilles achetées au prix fort. Cette « soif ordinaire » ne se mesure pas dans les indicateurs économiques, mais elle affaiblit la résilience sociale, augmente les dépenses contraintes et accentue les inégalités entre territoires.
L’absence d’eau courante n’est pas qu’une privation matérielle. Elle impose des coûts invisibles : temps passé à s’approvisionner, dépenses pour l’eau embouteillée, risques sanitaires, tensions locales. Pour les ménages modestes, ces contraintes grèvent les budgets et aggravent un sentiment d’abandon face à un État jugé lent à réagir.
La sécurité hydrique devient ainsi un enjeu politique majeur : garantir l’eau, c’est aussi garantir la cohésion nationale. Afrobarometer souligne que les Marocains privés d’eau sont statistiquement plus pauvres, plus vulnérables et plus défiants vis-à-vis des institutions.
Paradoxalement, 55 % des Marocains estiment que leur gouvernement gère bien les ressources hydriques, un score supérieur à la moyenne africaine. Mais cet optimisme demeure fragile. La combinaison explosive du changement climatique, de la croissance démographique et de l’urbanisation accélérée risque de transformer la tension hydrique actuelle en crise structurelle.
Les experts appellent à une refonte radicale de la politique de l’eau :
moderniser les réseaux vétustes,
diversifier les sources (désalinisation, recyclage),
instaurer une gouvernance transparente et territoriale,
Et surtout, mettre fin au déséquilibre entre investissements agricoles intensifs et besoins domestiques.
Car derrière le discours officiel sur les grands barrages et les projets d’irrigation, c’est l’accès équitable à l’eau potable qui devient la véritable ligne de fracture du Maroc moderne.
Maroc : quand la soif creuse les inégalités
