Chouaib Sahnoun
Le Maroc se distingue tristement dans le dernier rapport « State of the World’s Emotional Health », publié par l’institut Gallup en partenariat avec la Global Health Summit : il figure parmi les dix pays au monde où la colère est la plus ressentie au quotidien.
Selon cette étude menée auprès de plus de 145 000 personnes dans 144 pays, 37 % des adultes marocains déclarent avoir ressenti de la colère au cours de la journée précédant l’enquête. Un chiffre alarmant qui place le Royaume à la 10ᵉ place mondiale, un rang peu enviable, symbole d’un mal-être collectif grandissant.
Mais au-delà du simple indicateur émotionnel, cette donnée traduit une fracture sociale et politique profonde. Le rapport de Gallup rappelle que les émotions négatives ,colère, tristesse, stress, inquiétude ,se concentrent dans les pays marqués par l’instabilité, l’exclusion et le manque de confiance envers les institutions.
Au Maroc, 22 % des sondés disent ressentir de la colère, 26 % de la tristesse, et 40 % du stress ou de l’anxiété. Ces chiffres ne sont pas anodins : ils reflètent une exaspération populaire face à l’arrogance d’une élite politique et économique déconnectée, accusée d’accaparer les richesses et les leviers du pouvoir.
La concentration du pouvoir économique et politique entre les mains de quelques oligarques a façonné un système verrouillé, où la mobilité sociale se raréfie et où la jeunesse, souvent diplômée, se heurte à un mur d’indifférence et de chômage.
Cette « gouvernance des oligarques », comme la qualifient plusieurs observateurs, nourrit un sentiment d’injustice généralisé : hausse du coût de la vie, affaiblissement du pouvoir d’achat, précarisation du travail, opacité dans la gestion publique. Autant de facteurs qui minent la confiance dans l’État et transforment la frustration en colère sourde.
Pour Gallup, la colère quotidienne est un thermomètre social : plus elle est forte, plus la société est sous pression. Dans le cas marocain, cette émotion devient un cri silencieux contre un modèle économique inégalitaire, où les promesses de développement et d’équité semblent s’évaporer au profit d’intérêts privés.
Pendant que les gouvernants vantent des projets de prestige et des chiffres macroéconomiques flatteurs, la réalité vécue par les citoyens est celle d’une survie quotidienne, d’une éducation et d’une santé fragilisées, d’un marché du travail sans issue.
Le Maroc n’est pas seul dans ce désarroi émotionnel. Le Tchad (47 %), la Jordanie (46 %), l’Arménie (43 %), l’Irak (42 %), la RDC (41 %), la Palestine (40 %), l’Iran (39 %), la Turquie (38 %) et le Liban (38 %) occupent le haut du classement des pays les plus en colère. Tous partagent un même terrain : instabilité, pauvreté, défiance politique.
Mais dans le cas marocain, cette colère prend une signification particulière : celle d’un pays riche de potentialités, mais appauvri par un système de gouvernance qui ne profite qu’à une minorité.
Face à ce constat, il ne suffit plus de vanter la stabilité politique ou les indicateurs macroéconomiques. La colère des Marocains est un message clair : le pays ne peut continuer à se construire sur l’injustice sociale et la confiscation du pouvoir par une élite oligarchique.
Tant que cette réalité perdurera, les rapports comme celui de Gallup ne feront que rappeler l’échec d’un modèle politique déconnecté de ses citoyens.
Maroc : la colère des citoyens, symptôme d’un régime accaparé par les oligarques
