
Chouaib Sahnoun
À un an des élections législatives de 2026, censées renouveler le Parlement et donner naissance au prochain gouvernement, le Maroc entre dans une phase charnière de sa vie politique. Sous couvert d’un « assainissement » de l’échiquier politique, les nouvelles réformes électorales adoptées lors du Conseil des ministres du 19 octobre 2025, présidé par le roi Mohammed VI, suscitent autant d’inquiétudes que d’espoirs.
Derrière la volonté affichée de moraliser la vie publique se dessine un arsenal juridique qui pourrait, à terme, restreindre dangereusement la liberté d’expression et la critique citoyenne.
L’article 51 : entre rigueur morale et bâillon légal
L’un des points les plus controversés du projet de loi N° 53.25, déposé au Parlement le 24 octobre 2025, réside dans son article 51. Celui-ci prévoit, pour la première fois, des peines de deux à cinq ans de prison et des amendes pouvant atteindre 100 000 dirhams à l’encontre de toute personne diffusant ou partageant, par n’importe quel moyen, y compris les réseaux sociaux et les outils d’intelligence artificielle, des « fausses informations » susceptibles de remettre en cause la crédibilité ou la transparence des élections.
Officiellement, cette mesure vise à contrer la prolifération de rumeurs, d’intox et de manipulations numériques, notamment celles émanant de l’étranger. En réalité, ses contours flous ouvrent la voie à toutes les interprétations. Qu’est-ce qu’une « fausse information » ? Qui décide de ce qui remet en question la « crédibilité » d’un scrutin ? Autant de zones grises qui pourraient permettre aux autorités de criminaliser toute forme de contestation, d’analyse critique ou de dénonciation citoyenne.
Quand la moralisation vire au contrôle
Les partisans du texte y voient un instrument de moralisation du débat public ; ses détracteurs, un glissement vers un État de surveillance électorale. Car si la lutte contre la corruption, le clientélisme ou la fraude électorale est une exigence légitime, le risque d’un « verrouillage » du débat politique est bien réel.
Les autres dispositions du texte vont dans le même sens : la loi N° 55.22 durcit les conditions d’éligibilité, excluant de facto toute personne ayant été condamnée, même avec sursis, pour une longue liste d’infractions, allant du vol à la falsification de documents. En théorie, ces mesures visent à garantir la probité des candidats. En pratique, elles peuvent devenir un instrument d’exclusion politique, surtout dans un contexte où les décisions judiciaires ne sont pas toujours perçues comme indépendantes.
Le spectre du “crime d’opinion”
Le durcissement de l’encadrement légal des discours électoraux fait craindre un retour insidieux du crime d’opinion. Dans un espace public déjà étroitement régulé, la menace d’emprisonnement pour un simple partage ou commentaire sur les réseaux sociaux risque d’instaurer un climat d’autocensure généralisée.
Les journalistes, blogueurs, militants et simples citoyens qui s’expriment sur la transparence des scrutins pourraient désormais être assimilés à des fauteurs de trouble. L’intelligence artificielle, mentionnée dans le texte, devient ainsi un nouveau prétexte à la surveillance numérique des voix dissonantes.
Une démocratie disciplinée ?
À l’approche des élections de 2026, l’enjeu dépasse la seule question du cadre électoral : il s’agit de savoir quels espaces de liberté resteront ouverts pour débattre, contester, ou simplement questionner. Si le discours officiel insiste sur la modernisation et la transparence du processus, la réalité politique laisse entrevoir une volonté de contrôle renforcé sur la parole publique.
La démocratie marocaine, en quête de maturité, se retrouve à un tournant. Entre la nécessité de préserver la stabilité et celle de garantir le droit à la critique, le pouvoir semble avoir choisi : celui de la sécurité politique au détriment de la liberté d’expression.




