Femmes du Maroc : les chiffres du progrès, les ombres de la réalité

7 نوفمبر 2025
Femmes du Maroc : les chiffres du progrès, les ombres de la réalité

Chouaib Sahnoun
Une égalité démographique qui masque l’inégalité sociale
Le Maroc compte désormais 18,3 millions de femmes contre 18,2 millions d’hommes. Un équilibre démographique qui pourrait, en apparence, traduire une parité naturelle. Mais derrière cette symétrie statistique, le déséquilibre des conditions de vie reste abyssal.
Le rapport 2025 du Haut-Commissariat au Plan (HCP),”La femme marocaine en chiffres”,  dévoile des données précises sur la place des femmes dans la société. Pourtant, la lecture politique de ces chiffres révèle une autre réalité : la féminisation du Maroc n’a pas encore entraîné sa dépatriarcalisation.
Les femmes sont plus nombreuses à vivre en milieu urbain, plus instruites qu’autrefois, et vivent plus longtemps. Mais elles demeurent moins présentes dans le travail, moins représentées dans la décision, moins libres dans leur corps. Le Maroc, en 2025, reste une société où les statistiques progressent plus vite que les droits.

Mariage précoce : la tradition contre la loi
L’âge moyen du premier mariage est de 24,6 ans pour les femmes contre 32,4 pour les hommes. Un écart de presque huit ans qui illustre le rapport de domination entre maturité masculine et dépendance féminine, institutionnalisé par la structure même du mariage.
Les mariages précoces sont en recul — 8,4 % des Marocaines de 20 à 24 ans mariées avant 18 ans — mais ils subsistent, surtout dans le monde rural, là où la pauvreté et la pression sociale contournent la loi.
La baisse des mariages de mineures ou polygames, souvent présentée comme un succès législatif, reste fragile. Le droit avance, mais les mentalités résistent. Le Code de la famille de 2004, salué comme révolutionnaire, montre ses limites dans un pays où la justice familiale demeure imprégnée de conservatisme religieux et de rapports de force patriarcaux.

Santé et maternité : des progrès inégaux
L’espérance de vie féminine atteint 79 ans, contre 75,5 ans pour les hommes. Les citadines vivent quatre ans de plus que les rurales, preuve que la modernité profite d’abord à celles qui y ont accès.
La fécondité continue de baisser (1,97 enfant par femme), traduisant la diffusion lente d’un modèle de famille plus restreint. Mais là encore, le Maroc rural échappe au mouvement : les femmes y ont encore 2,37 enfants en moyenne.
La mortalité maternelle, passée de 227 à 72 décès pour 100 000 naissances en quinze ans, témoigne d’un réel progrès sanitaire. Pourtant, ce chiffre masque la dépendance structurelle du système de santé à l’urbanisation : l’accès aux soins maternels reste inégal, les infrastructures rurales demeurent sous-dotées, et la santé reproductive reste taboue dans de larges pans du pays.

Éducation : un mur invisible
Le rapport du HCP révèle une fracture éducative qui structure toutes les autres inégalités.
Près de la moitié des femmes de plus de 25 ans (47,6%) n’ont aucun niveau d’instruction, et seules 9,2 % ont accédé à l’université.
Ces chiffres traduisent un double échec : celui du système scolaire à inclure les filles rurales, et celui d’un modèle social qui continue à voir l’éducation des filles comme un luxe, non comme un droit.
Si le taux d’alphabétisation féminin atteint 96,7 % chez les 15-24 ans, il s’effondre à 30 % chez les plus de 50 ans. La transmission intergénérationnelle de la culture et de l’autonomie reste ainsi gravement entravée. Car l’analphabétisme des mères est le premier obstacle à l’émancipation des filles.

Travail : le grand piège de la dépendance
Dans le monde du travail, les chiffres révèlent une inégalité systémique.
Le taux d’activité féminin plafonne à 33,9 % pour les diplômées, contre 92,1 % pour les hommes. Même armées de diplômes, les femmes sont écartées du marché formel.
Elles représentent une main-d’œuvre invisible : 26 % d’entre elles travaillent sans rémunération, souvent dans les champs familiaux, sous couvert de “solidarité domestique”.
Le travail féminin est ainsi socialement dévalorisé, économiquement sous-payé et juridiquement peu protégé.
Le secteur tertiaire les emploie à 49,8 %, l’agriculture à 33,9 % — deux domaines où la précarité règne.
La féminisation du travail ne s’accompagne pas d’une transformation du pouvoir : les femmes restent exécutantes, rarement décideuses.

Violences et impunité : le patriarcat comme système
Le HCP rappelle que 56,5 % des Marocaines ont subi un acte de violence. Plus d’une sur deux.
Cette statistique, effroyable mais constante, dit tout : le patriarcat ne se mesure pas seulement dans les écarts de salaires, mais dans les corps et les vies blessées.
Les violences psychologiques (49,1 %) dominent, suivies des violences domestiques (52 %), sexuelles (14 %) et économiques (15 %).
Pire encore : 37,8 % des femmes subissent une violence ” liée à l’application des lois “, signe que l’inégalité est institutionnelle, enracinée jusque dans l’État censé la combattre.
Les politiques publiques, souvent axées sur la “sensibilisation”, évitent la question fondamentale : le rapport de domination est politique, non culturel. Tant que le pouvoir,politique, économique, religieux, restera masculin, la violence restera structurelle.

Le Maroc des femmes : entre indicateurs et indignation
Les rapports se succèdent, les chiffres s’améliorent, les lois s’adaptent. Mais la société, elle, résiste au changement de fond.
Les inégalités de genre au Maroc ne sont plus seulement un problème moral ou social : elles sont un frein au développement national.
L’égalité des sexes n’est pas une faveur à accorder, mais un pilier de modernité. Or, tant que le travail domestique ne sera pas reconnu, que la justice familiale restera biaisée, et que l’éducation continuera de reproduire les hiérarchies de genre, le progrès des femmes restera statistique, non politique.
Le Maroc d’aujourd’hui compte plus de femmes que d’hommes. Mais il n’a pas encore appris à les compter comme citoyennes à part entière.

Leave a Comment

لن يتم نشر عنوان بريدك الإلكتروني. الحقول الإلزامية مشار إليها بـ *


Comments Rules :

عدم الإساءة للكاتب أو للأشخاص أو للمقدسات أو مهاجمة الأديان أو الذات الالهية. والابتعاد عن التحريض الطائفي والعنصري والشتائم.


Breaking News

We use cookies to personalize content and ads , to provide social media features and to analyze our traffic...Learn More

Accept