
Chouaib Sahnoun
Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, et son équipe ne sortiront pas indemnes de la vague d’intempéries et d’inondations qui frappe le pays. À la violence des crues s’ajoute le drame silencieux des populations des zones montagneuses ensevelies sous la neige, abandonnées à une précarité extrême, au point que le Roi a dû intervenir personnellement par des instructions fermes et directes pour organiser les secours. Un rappel brutal des carences de l’Exécutif là où l’action publique aurait dû être automatique, structurée et anticipée.
Face à l’urgence, le ministre de l’Intérieur a annoncé, dans la précipitation, des programmes exceptionnels pour répondre aux dégâts. Mais ces mesures conjoncturelles peinent à calmer une société civile de plus en plus vigilante, exigeante et lassée des réactions tardives. Car ce que réclament aujourd’hui les citoyens n’est pas seulement une réponse à chaud, mais une politique en amont, fondée sur la prévention, l’anticipation et la responsabilité.
Or cet « amont » fait cruellement défaut. Le Maroc continue de payer le prix d’une absence flagrante de stratégie nationale de prévention des catastrophes naturelles. Les inondations dramatiques et meurtrières de Safi en sont l’illustration la plus accablante : urbanisme anarchique, infrastructures vétustes, réseaux d’évacuation défaillants et inertie des autorités locales. Autant de manquements connus, signalés depuis des années, mais ignorés par un gouvernement davantage préoccupé par les équilibres économiques et les intérêts des puissants que par la sécurité des citoyens ordinaires.
Sortant du choc, de la douleur et du traumatisme, de nombreuses voix se sont élevées pour exiger vérité, réparation et reddition des comptes. Parmi les plus déterminées figure l’Ordre des avocats, aux côtés d’associations locales, qui a décidé de poursuivre en justice Aziz Akhannouch et son gouvernement. Les griefs sont lourds : absence de mesures préventives, défaillances graves dans la gestion des risques, incapacité à protéger les infrastructures et les habitants. Les plaignants réclament des indemnisations pour les pertes d’habitations et de commerces, des solutions de relogement dignes, ainsi qu’une modernisation en profondeur d’infrastructures devenues dangereusement obsolètes.
L’Exécutif aurait tort de prendre cette initiative à la légère. Elle pourrait faire jurisprudence et s’étendre à d’autres villes et régions sinistrées, déclenchant un effet boule de neige aux conséquences politiques et sociales redoutables. Dans un contexte déjà marqué par la défiance, cette judiciarisation du débat public traduit un malaise profond : celui d’un pays dirigé par un gouvernement perçu comme distant, technocratique et dominé par des logiques oligarchiques, plus prompt à protéger les intérêts économiques qu’à assumer ses obligations sociales.
Aujourd’hui, l’heure n’est plus aux discours rassurants ni aux annonces de circonstance. Il appartient au gouvernement de prendre pleinement ses responsabilités, d’assumer ses manquements et de refonder une politique publique centrée sur la prévention et la protection des citoyens. Faute de quoi, la « malédiction » qui semble s’acharner sur ce mandat risque surtout de s’enraciner dans la mémoire collective comme le symbole d’un pouvoir sourd aux alertes et aveugle aux drames humains.




