Maroc : quand la justice rattrape les puissants, ou l’illusion d’une moralisation politique

3 ساعات ago
Maroc : quand la justice rattrape les puissants, ou l’illusion d’une moralisation politique

Chouaib Sahnoun
À quelques jours de la rentrée parlementaire, un coup de tonnerre secoue les cercles du pouvoir marocain. Les juges d’instruction des tribunaux des crimes financiers de Rabat-Salé-Kénitra, Fès-Meknès et Marrakech-Safi ont ordonné la fermeture des frontières à plusieurs dizaines d’élus et hauts responsables publics, parmi lesquels des parlementaires, des présidents de collectivités territoriales, des fonctionnaires de haut rang, des techniciens et des entrepreneurs privés.
Sous le vernis de la stabilté institutionnelle, une réalité s’impose : la corruption, enracinée dans les structures de pouvoir, devient un terrain de tension entre un appareil judiciaire désormais plus affirmé et des élites politiques fragilisées par la défiance populaire.
Ces interdictions de voyager concernent, selon des sources informées, plus de dix présidents de collectivités locales, soupçonnés de détournement de fonds, de falsification et de malversations dans la gestion des deniers publics.
Un parlementaire appartenant à un parti de la majorité gouvernementale illustre cette dérive. D’abord autorisé à voyager en Espagne après restitution temporaire de son passeport, il s’est vu confisquer à nouveau ce document à son retour, impliqué dans une nouvelle affaire de corruption liée à la création d’une école privée.
Les architectes, ingénieurs, et titulaires de bureaux d’études ne sont pas épargnés. Loin d’être isolées, ces affaires dessinent une toile de connivences où les frontières entre intérêts publics et privés se dissolvent. La confiscation des passeports, mesure rare dans le paysage judiciaire marocain, marque une volonté nouvelle d’empêcher les protagonistes de se soustraire à la justice.
L’un des signes les plus significatifs de cette affaire réside dans le désengagement des partis politiques.
Plusieurs formations, y compris celles au pouvoir, ont refusé de désigner des avocats pour défendre leurs élus, préférant préserver leur image dans un contexte où la moralisation de la vie publique est devenue un impératif discursif du pouvoir central.
Les élus mis en cause ont dû recourir à des avocats indépendants, révélant un déficit de solidarité politique et, en filigrane, la peur d’une contamination symbolique à l’approche d’échéances électorales sensibles.
Si l’on peut saluer l’éveil d’une justice financière plus offensive, la temporalité politique de ces procédures interroge.
La concomitance entre ces décisions judiciaires et la reprise des travaux parlementaires n’est pas anodine : elle suggère une mise en scène du redressement moral de la classe politique, répondant à une demande sociale croissante de probité , mais aussi à un besoin de légitimation du pouvoir central, dans un contexte de crispations socio-économiques.
Les précédents ne manquent pas : d’autres campagnes anticorruption, spectaculaires dans leur lancement, se sont souvent éteintes dans la lenteur des procédures ou l’effacement médiatique progressif des dossiers. La question n’est plus de savoir si la justice agit, mais dans quelle mesure elle agit librement.
Ce que révèle avant tout cette série d’interdictions de quitter le territoire, c’est l’absence d’une véritable réforme structurelle de la gouvernance locale.
Les affaires de détournement, de favoritisme ou de passation douteuse de marchés ne sont pas des anomalies isolées, mais les symptômes d’un système où la décentralisation a souvent été confondue avec la délégation d’impunité.
À travers ces jugements symboliques, la justice marocaine tente de reprendre la main sur un champ politique fragmenté et discrédité. Mais sans refonte des mécanismes de contrôle, de transparence et de reddition des comptes, la lutte contre la corruption risque encore une fois de se heurter à la raison d’État.
La moralisation de la vie publique ne saurait se limiter à des procès exemplaires. Elle exige un rééquilibrage des pouvoirs, une autonomie réelle de la justice et une culture politique de responsabilité.
Tant que la sanction demeurera sélective et conjoncturelle, le discours de probité servira plus à discipliner les élites qu’à transformer le système.

Leave a Comment

لن يتم نشر عنوان بريدك الإلكتروني. الحقول الإلزامية مشار إليها بـ *


Comments Rules :

عدم الإساءة للكاتب أو للأشخاص أو للمقدسات أو مهاجمة الأديان أو الذات الالهية. والابتعاد عن التحريض الطائفي والعنصري والشتائم.


Breaking News

We use cookies to personalize content and ads , to provide social media features and to analyze our traffic...Learn More

Accept