Chouaib Sahnoun
Le vent du changement souffle sur Mawazine. Pour sa 20ᵉ édition, le célèbre Festival Mawazine ,Rythmes du Monde a offert une place de choix au rap marocain en confiant à El Grande Toto l’ouverture de la scène OLM Souissi le 28 juin, avant la tête d’affiche américaine Lil Baby. Une première historique, aussi symbolique que significative, dans un pays où le rap reste encore en quête de légitimité.
De son vrai nom Taha Fahssi, El Grande Toto a longtemps été considéré comme une figure controversée du rap marocain. Mais à Rabat, devant des milliers de jeunes venus de tout le pays, le rappeur a livré une performance puissante, trilingue (darija, français, anglais), alliant beats percutants, textes acérés et gestuelle captivante.
Des titres comme Mghayer, Salade Coco ou encore Halla Halla ont électrisé la foule. Le rap n’était plus en marge : il était au centre de la fête, sur la plus grande scène du royaume, devant un public multigénérationnel et multiculturel.
Si l’invitation de Toto à Mawazine fait tant de bruit, c’est qu’elle marque une reconnaissance institutionnelle d’un genre longtemps marginalisé. Mais surtout, elle reflète l’écho croissant du rap auprès de la jeunesse marocaine, qui s’y reconnaît, s’y projette, s’y exprime.
Le rap de Toto, souvent cru, parfois provocant, parle sans filtre des réalités vécues par une partie de la population : chômage, pression sociale, contradictions identitaires, rêves de réussite. Sa musique devient un miroir social, un exutoire pour les frustrations et les aspirations d’une génération souvent écartée des discours officiels.
“Toto dit ce qu’on vit, ce qu’on pense, ce qu’on n’ose pas dire à haute voix”, confie Rachid, 21 ans, venu de Fès pour assister au concert.
Le succès de Toto ne se limite pas aux charts ou aux réseaux sociaux. Il est aussi le symptôme d’un basculement culturel. Le Maroc de 2025 n’est plus celui des années 2000. Les jeunes, connectés, polyglottes, ouverts sur le monde mais attachés à leurs racines, revendiquent des voix qui leur ressemblent.
Et Toto incarne cette tension : entre local et global, entre respect des codes et volonté de rupture. Avec plus d’un milliard de streams cumulés, des collaborations internationales et une base de fans solide au Maghreb comme en Europe, il est devenu l’un des porte-drapeaux du rap arabe.
En offrant à Toto une place de choix, Mawazine confirme son ouverture à des genres autrefois tenus à distance. Après des années dominées par la pop arabe et les stars internationales, l’édition 2025 amorce un virage générationnel et stylistique.
Le pari est gagnant. Le public a répondu présent. L’image du festival, parfois critiquée pour son élitisme, se modernise. Et surtout, un message fort est envoyé : le rap marocain a désormais sa place dans le paysage musical national. Et il ne compte plus la lâcher.
Mais tout reste à faire. Le soutien des institutions est encore timide, les critiques persistent, et certains acteurs culturels redoutent les débordements ou la perte de repères. Pourtant, l’expérience Mawazine 2025 prouve qu’un pont peut exister entre la rue et la scène, entre les rêves des jeunes et les projecteurs des grandes manifestations.
Avec El Grande Toto, le Maroc n’a pas seulement mis le rap à l’honneur : il a offert un micro à toute une génération.
