
Chouaib Sahnoun
Les relations entre le ministère de la Justice et les huissiers de justice connaissent l’une des plus graves tensions de ces dernières années. Les propos tenus par Abdellatif Ouahbi, dernièrement devant la Commission de la justice et de la législation, ont provoqué une véritable déflagration au sein de la profession. Le ministre aurait annoncé son intention de recruter des fonctionnaires pour assurer les notifications pénales et civiles, avec pour ambition affichée de « concurrencer les commissaires judiciaires ».
Une déclaration perçue comme une provocation directe.
La réaction ne s’est pas fait attendre : la Haute Instance nationale des huissiers de justice a publié un communiqué d’une fermeté rare, dénonçant un discours qui remettrait « frontalement en cause » la mission, le rôle et même l’utilité publique de la profession. L’organisation rappelle que les huissiers constituent un pilier essentiel du fonctionnement de la justice : significations, exécutions, notifications… autant d’actes réalisés avec rigueur, souvent sans contrepartie financière, notamment dans les dossiers complexes ou anciens.
Cette polémique surgit dans un climat institutionnel déjà fragilisé par les récentes évolutions législatives. Le 4 août 2025, la Cour constitutionnelle a censuré plusieurs dispositions de la loi 02-23 portant Code de procédure civile, renvoyant le texte au Parlement pour une nouvelle lecture. Une décision qui a ravivé les débats sur les prérogatives de chaque corps professionnel et sur l’équilibre, toujours délicat, de la chaîne judiciaire.
Les propos du ministre ont également été jugés « offensants et infondés » par les huissiers, qui réfutent catégoriquement l’idée qu’ils auraient refusé les notifications pénales. Ils affirment au contraire s’être mobilisés, souvent bénévolement, pour rattraper les retards accumulés. Selon eux, l’argument avancé ne reflète aucune réalité de terrain.
Autre point sensible : la question des honoraires. La Haute Instance rappelle avoir soumis au ministère une série de propositions dans une logique d’écoute et de concertation, afin d’améliorer la situation matérielle de ses membres. Elle condamne toute intervention extérieure qu’elle juge déplacée dans un dossier qu’elle considère « essentiel pour la dignité de la profession ».
Pour apaiser les tensions et sortir de l’impasse, la profession propose la tenue d’une conférence nationale consacrée au système des honoraires des métiers juridiques, avec un objectif clair : instaurer une véritable justice tarifaire, réduire les écarts entre professions et mettre fin aux logiques de privilèges historiques.
Tout en réaffirmant sa volonté de dialogue, la Haute Instance insiste sur la nécessité d’un climat de respect mutuel et d’un cadre institutionnel apaisé pour poursuivre les discussions avec le ministère.




