Chouaib Sahnoun
Entre blouse blanche et caméra, le docteur Bouchaib El Messaoudi a trouvé une voie singulière, celle où la science médicale rejoint la poésie du réel. Médecin-rhumatologue et cinéaste, il s’impose comme une figure rare : un homme de rigueur et d’émotion, capable d’unir soin du corps et regard sur l’âme.
Son premier documentaire, Prisonnier de la douleur (2014), surgit d’une expérience intime et bouleversante : la rencontre avec un patient que la souffrance enferme. Le film, d’une sobriété exemplaire, évite tout pathos.
El Messaoudi y interroge la douleur non comme un symptôme, mais comme une expérience humaine à part entière. Entre approche clinique et compassion poétique, il signe une œuvre où la science se met au service de la tendresse, où la vérité médicale s’élève en langage universel.
Son regard de médecin s’efface devant celui du témoin. La caméra capte ce que les mots taisent : la respiration, le silence, la dignité dans la faiblesse. En cela, Prisonnier de la douleur devient plus qu’un documentaire ,un acte d’amour envers la vie et ceux qui la portent malgré tout.
Huit ans plus tard, Gobelins District (2022) marque un tournant. El Messaoudi passe à la fiction, sans rien perdre de son réalisme humaniste. Le film plante sa caméra dans les hauteurs du Moyen Atlas, là où les paysages deviennent personnages et où les hommes ressemblent à leurs montagnes : sobres, solides, inébranlables.
Dans ce village isolé, se joue une fable sociale pleine de verve et d’humanité, où la solidarité triomphe des petites trahisons, où la naïveté n’est pas faiblesse mais force morale. La narration, limpide et allégorique, rappelle les fables de La Fontaine ou les récits moraux du néoréalisme italien.
C’est un cinéma sans effets, mais plein d’âme, où chaque visage raconte la mémoire d’un peuple.
Avant d’être réalisateur, El Messaoudi fut aussi le fondateur et directeur du Festival International du Film Documentaire de Khouribga (FIFDOK).
Son ambition : rendre au cinéma son ancrage populaire, le sortir des cénacles élitistes pour le ramener dans les places publiques, au cœur des villages, là où l’image retrouve sa vocation première ,rassembler, raconter, émouvoir.
Lors du Festival du film de montagne d’Ouzoud en septembre 2025, la projection de Gobelins District sur la place du village a résonné comme une célébration du cinéma vivant. Les rires, les cris d’enfants, le bruissement des conversations formaient un chœur joyeux. Le septième art redevenait ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : une fête du peuple.
Le cinéma de Bouchaib El Messaoudi est profondément marocain, mais universel par son humanité.
Ses héros ne cherchent ni gloire ni pouvoir : ils cultivent la terre, élèvent leurs enfants, affrontent la vie avec humilité. Dans leur regard, on retrouve la sagesse ancienne du Moyen Atlas, celle qui fait de la générosité une vertu cardinale.
Ses films sont traversés par la lumière des cascades d’Ouzoud, métaphore spirituelle de la délivrance et de la guérison , comme si la nature elle-même participait à ce récit d’espérance.
Chez El Messaoudi, le geste médical et le geste cinématographique procèdent d’un même élan : comprendre et soulager.
Son art ne guérit pas les corps, mais il apaise les regards. Il rappelle que dans un monde fragmenté par le numérique et la confusion morale, l’honnête, le juste et le simple ont encore droit de cité.
À travers ses œuvres, le spectateur retrouve l’évidence d’une morale populaire : celle du « bon, de la brute et du truand », revisitée par un œil profondément marocain et universel à la fois.
Fabienne Le Houérou, historienne, anthropologue et réalisatrice, souligne dans ses travaux cette alliance rare entre médecine et cinéma, entre soin et création :
« Le Dr El Messaoudi forge des images comme un forgeron du vivant. Il soigne les hommes par le regard et les réconcilie avec la beauté du monde. »
Et si, finalement, le cinéma était une autre manière de guérir ?
Bouchaib El Messaoudi : le médecin qui soigne aussi par le cinéma
