
Chouaib Sahnoun
Le football au Maroc n’est pas seulement un sport : c’est une passion, un ciment social, une fierté nationale. Mais derrière les cris de joie et les drapeaux brandis, une question dérangeante persiste : mérite-t-il vraiment autant d’argent public?
Depuis plusieurs mois, le débat agite la société. D’un côté, ses défenseurs affirment que cet investissement est stratégique : moteur de soft power, vecteur d’unité nationale et tremplin pour le rayonnement international. D’un autre côté, ses détracteurs dénoncent une fuite en avant coûteuse, qui détournerait des ressources vitales de secteurs essentiels comme l’éducation, la santé ou l’emploi
Difficile d’oublier l’épopée des Lions de l’Atlas en 2022 au Qatar. Demi-finalistes d’une Coupe du monde, les joueurs marocains ont fait vibrer tout un peuple et projeté le Royaume sous les projecteurs du monde entier. Cet exploit, inédit pour une équipe africaine et arabe, a donné un coup de projecteur sans précédent à l’image du pays
Fort de cette dynamique, le Maroc a décroché la co-organisation de la Coupe du monde 2030, multiplié les candidatures aux compétitions africaines et lancé un vaste chantier d’infrastructures sportives. Pour les décideurs, c’est un investissement rentable à long terme : attirer le tourisme, renforcer le prestige diplomatique et faire du sport un levier de développement
Mais pour beaucoup, ce rêve doré cache une réalité plus sombre. Les retombées économiques promises peinent à se concrétiser : après Qatar 2022, l’élan touristique attendu n’a pas suivi. Plusieurs pays qui ont misé des milliards sur le ballon rond se sont retrouvés endettés, incapables de rentabiliser leurs projets
Au Maroc, certains dénoncent une inversion des priorités. Alors que des écoles manquent de professeurs, que des hôpitaux sont saturés et que la mobilité urbaine reste un défi quotidien, les milliards engloutis dans le football apparaissent comme un luxe disproportionné
Une autre critique revient avec insistance : la monopolisation des moyens par le football. L’athlétisme, autrefois fleuron national, peine à retrouver son éclat. Le basketball, le handball et bien d’autres disciplines, pourtant prometteuses et accessibles, restent reléguées au second plan. Les sportifs de haut niveau, qui pourraient rapporter médailles et reconnaissance au Maroc avec des budgets moindres, peinent à être soutenus.
Dans les quartiers populaires, de nombreux jeunes rêvent de devenir les prochains Hakimi ou Ziyech. Mais au-delà des stades flambant neufs, la réalité est bien différente : des clubs locaux sans moyens, des terrains délabrés et une formation encore inégale
Beaucoup dénoncent un football vitrine, conçu pour l’image à l’international, mais qui laisse de côté la base du sport national. Une jeunesse passionnée, mais privée d’infrastructures adaptées pour pratiquer et s’épanouir
La grande interrogation demeure : que restera-t-il, demain, de ces milliards investis ? Former une génération de talents pour mieux les voir partir jouer à l’étranger ? Construire des stades majestueux mais inaccessibles aux clubs locaux ? Ou bâtir une politique sportive durable, au service de toute la société.
Le choix stratégique du Royaume divise : vision audacieuse tournée vers l’avenir, ou mirage dispendieux qui détourne des priorités urgentes.
Seul le temps tranchera. Mais une chose est sûre : le football marocain, entre passion et raison, n’a pas fini de faire couler beaucoup d’encre.




