
Chouaib Sahnoun
Depuis plus d’une semaine, plusieurs villes marocaines sont secouées par des manifestations menées par le collectif GenZ 212. Dans les rues de Rabat, Casablanca ou Tanger, des centaines de jeunes dénoncent les milliards investis dans la Coupe du monde 2030, que le Maroc coorganisera avec l’Espagne et le Portugal, alors que les secteurs de la santé et de l’éducation traversent une crise profonde.
Le slogan le plus repris,«Nous ne voulons pas de Coupe du monde, nous voulons des soins de santé», résume la fracture grandissante entre une jeunesse en difficulté et un gouvernement soucieux de prestige international. Les jeunes manifestants y voient le symbole d’un modèle économique tourné vers la vitrine, plutôt que vers les besoins essentiels.
Selon Trading Economics, cité par El Confidencial, le taux de chômage atteint 12,8 % au niveau national et 37 % chez les jeunes. Faute de perspectives, une partie d’entre eux tente chaque année d’émigrer vers l’Europe, souvent au péril de leur vie.
Les rassemblements, largement pacifiques, ont été violemment dispersés par les forces de l’ordre. Le bilan officiel fait état de plus de 400 arrestations et trois morts, dont deux jeunes tués à Lqliaa, près d’Agadir. Selon la version des autorités, ils auraient tenté d’attaquer une brigade de la Gendarmerie royale. Cette version est contestée par des témoins et par plusieurs associations locales, qui dénoncent une répression disproportionnée.
La colère actuelle trouve ses racines dans un sentiment plus ancien. En 2018, le chant des supporters du Raja de Casablanca, F’bladi delmouni (« Dans mon pays, j’ai été opprimé »), était déjà devenu un hymne contre la corruption, le chômage et la marginalisation sociale. Pour de nombreux jeunes, le stade reste un refuge et un espace d’expression, comme l’explique un sociologue de l’université de Meknès :
« Les ultras trouvent dans le football ce que la société leur refuse : une identité, une solidarité, un sentiment d’existence. »
Mais ce pouvoir symbolique du supporterisme a souvent été perçu par les autorités comme une menace. Des dizaines de jeunes ultras du Raja et du Wydad ont été condamnés à de lourdes peines de prison ces dernières années, notamment après des boycotts de l’hymne national ou des slogans contre la normalisation avec Israël.
Alors que le Maroc prépare la Coupe d’Afrique des nations 2025 et la Coupe du monde 2030, une partie de la population s’interroge sur les priorités nationales. Les infrastructures sportives se multiplient, mais les centres de santé manquent de personnel et de matériel, et le système éducatif reste l’un des plus inégalitaires de la région.
Pour de nombreux observateurs, ces manifestations traduisent une crise de confiance entre l’État et la jeunesse, dans un pays où les ambitions sportives ne suffisent plus à masquer les fractures sociales. Le Maroc s’apprête à accueillir la planète football, mais une partie de ses citoyens réclame d’abord un droit plus fondamental : celui de vivre dignement, se soigner et apprendre.



