L’Akhannouchisme : quand l’argent prend le pas sur la politique au Maroc

ساعتين ago
L’Akhannouchisme : quand l’argent prend le pas sur la politique au Maroc

 

Par Chouaib Sahnoun
À première vue, le terme peut sembler anecdotique, voire inventé pour les besoins d’un débat politicien. Pourtant, l’« akhannouchisme » s’impose aujourd’hui comme un mode de gouvernance bien réel, où le pouvoir économique se confond avec l’appareil politique et administratif, redessinant les rapports entre l’État, les institutions et les citoyens
Kérosène, RAM et conflit d’intérêts
Décembre 2015. Idriss Benhima, alors directeur général de Royal Air Maroc (RAM), accuse publiquement le groupe Afriquia, propriété de l’homme d’affaires et ministre de l’Agriculture Aziz Akhannouch, de contrôler le marché du kérosène, carburant vital pour les compagnies aériennes. Cette mainmise se traduit par une flambée des prix de 30 %. Quelques mois plus tard, Benhima est remercié. Son successeur, Hamid Addou, signera en 2023 un accord pharaonique de 25 milliards de dollars avec… Akhannouch, devenu Premier ministre, scellant ainsi une relation à double tranchant : développement annoncé pour la RAM, mais enrichissement garanti pour Afriquia
La justice économique mise au pas
En 2019, la Cour des comptes, dirigée par Idriss Jettou, publie un rapport assassin sur le Plan Maroc Vert et le Plan Halieutis, révélant les limites des politiques agricoles et halieutiques. L’impact est tel qu’on parle d’un « séisme ». Mais en mars 2021, Jettou est brutalement écarté, remplacé par Zineb El Adaoui, figure moins menaçante
La même année, le Conseil de la Concurrence condamne sept grandes compagnies pétrolières pour entente illicite, imposant une amende record de 9 milliards de dirhams, dont plus de 2 milliards à Afriquia. Mais là encore, le couperet tombe : son président est démis, l’affaire est reprise de zéro et, en 2023, l’amende est réduite à 1,8 milliard. Une victoire éclatante pour les majors… et un camouflet pour les consommateurs
L’économie en trompe-l’œil
En 2022, Ahmed Lahlimi, haut-commissaire au Plan, brise un tabou : l’inflation est structurelle, fruit de la spéculation et d’une production nationale fragile. Les crises mondiales n’ont fait que révéler les failles d’un système priorisant les exportations au détriment du marché intérieur. Ses rapports dévoilent aussi un chômage record. Quelques mois plus tard, Lahlimi est poussé vers la sortie, remplacé par Chakib Benmoussa, puis par un ministre « de service », chargé de remodeler le ministère selon les desiderata du gouvernement
Même scénario pour Ahmed Reda Chami, président du Conseil économique et social, écarté après avoir dénoncé le manque de vision industrielle, ou encore Mohamed Bachir Rachdi, ex-président de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, sacrifié pour avoir publié un rapport sévère
Le recyclage des élites
Chaque voix discordante est neutralisée, chaque institution indépendante progressivement vidée de sa substance. La méthode est claire : limoger, remplacer, recycler. Les fidèles sont promus, les critiques écartés, et les organes de contrôle transformés en chambres d’enregistrement
L’essence de  l’akhannouchisme
Au-delà de la personne d’Aziz Akhannouch, l’akhannouchisme s’impose comme un système. Il repose sur quelques principes simples mais implacables
L’argent comme source principale de pouvoir, plus que le vote ou la légitimité politique
Le rejet du contrôle et de la reddition des comptes, perçus comme des menaces
Une administration verticale, fondée sur les nominations, les sanctions et la soumission
Une démocratie vidée de son sens, où la concertation et la critique sont remplacées par l’obéissance
Une croissance inégalitaire, où les classes sociales se déplacent sans jamais réduire les écarts
Un futur déjà écrit
L’akhannouchisme n’est donc pas seulement un style de gouvernance : c’est une doctrine implicite, où l’ordre politique s’efface devant la puissance économique. Ses contours rappellent une maxime cynique : « On change les hommes, pas les méthodes
Et l’histoire, loin d’être close, ne fait que commencer

Leave a Comment

لن يتم نشر عنوان بريدك الإلكتروني. الحقول الإلزامية مشار إليها بـ *


Comments Rules :

عدم الإساءة للكاتب أو للأشخاص أو للمقدسات أو مهاجمة الأديان أو الذات الالهية. والابتعاد عن التحريض الطائفي والعنصري والشتائم.


Breaking News

We use cookies to personalize content and ads , to provide social media features and to analyze our traffic...Learn More

Accept