Chouaib Sahnoun
Quand le gouvernement favorise les profits au détriment de ses enfants de l’étranger
Chaque été, les Marocains résidant à l’étranger (MRE) étaient des piliers du tourisme national, des visages familiers dans les médinas, des soutiens économiques invisibles mais fidèles. Mais cette année, nombreux sont ceux qui tournent le dos à leur pays natal, étouffés par une flambée des prix qui fait de leurs vacances une affaire de luxe inaccessible
Hôtellerie, restauration, activités de loisirs… Les tarifs explosent. Une économie touristique devenue prédatrice, dictée non par le bon sens ou la solidarité nationale, mais par l’avidité d’un patronat protégé, voire encouragé, par un gouvernement plus soucieux de rentabilité que de cohésion
Mohamed, installé à Strasbourg, a décidé de reporter son voyage. « Cette année, j’ai fait l’impasse. Il y a la CAN cet hiver au Maroc, alors autant économiser pour y assister. Et puis, franchement, les prix sont devenus absurdes. Rien que passer une semaine m’aurait coûté une fortune : restaurants, courses, un simple café… c’est devenu du vol organisé », confie-t-il . L’homme évoque une impression amère : celle d’un pays qu’on retrouve moins avec le cœur qu’avec le portefeuille
Rachid, 45 ans, vivant à Francfort, n’a jamais manqué un été au Maroc depuis 2024. Cette année, il restera en Allemagne. « Trop cher, trop compliqué. L’avion, le logement, tout est déconnecté de la réalité. » Quant à Naïma, résidente à Bordeaux, elle a fait ses valises pour Antalya, en Turquie. « Douze jours en tout compris, dans un 4 étoiles, pour moins que dix jours à Saïdia ! Et là-bas, au moins, le service suit », témoigne-t-elle, en montrant sa réservation annulée d’un logement marocain à 1 500 dirhams la nuit… sans climatisation, sans machine à laver, et à deux kilomètres de la mer
Même ceux qui ont maintenu leur voyage le font avec résignation. Karim, retraité installé à Perpignan, est arrivé à Nador fin juillet. Il constate amèrement : « Tout est hors de prix. L’essence, la viande, même une simple glace pour les enfants. On a l’impression que le pays est devenu une vitrine pour touristes étrangers, pas pour ses propres enfants. »
Dans les villes côtières, Fnideq, Tanger, Agadir, Saïdia , les doléances pleuvent. Les prix des appartements atteignent des sommets : entre 2 000 et 4 000 dirhams la nuit pour du moyen standing. Pire encore, des billets d’avion aller-retour dépassent les 35 000 dirhams pour une famille de trois personnes
Face à cette situation, le gouvernement semble adopter la stratégie de l’autruche. Aucun plafonnement des prix, aucune régulation saisonnière, aucune réponse concrète aux revendications des MRE. Un silence complice qui favorise les intérêts d’un secteur privé vorace, soutenu par une élite économique peu soucieuse de justice sociale
Zoubir Bouhoute, expert en flux touristiques, note toutefois un phénomène révélateur : « Ce qu’on observe n’est pas une baisse brutale mais un changement de comportement. Les MRE réaffectent leurs dépenses, modifient leurs destinations, reportent leurs voyages. Ils s’adaptent, parce que leur pays ne les entend pas. »
Une chose est sûre : à force de voir les MRE traiter comme de simples consommateurs, et non comme des membres de la nation, le Maroc risque de briser ce lien affectif si précieux. Le patriotisme ne résiste pas longtemps à l’exploitation