Chouaib Sahnoun
Au cœur de l’été étouffant, les robinets restent à sec à Khouribga. Dans cette ville emblématique du phosphate, ressource stratégique pour le Maroc et pour l’économie mondiale, l’eau potable devient un luxe rare. Les coupures d’eau se multiplient, prolongées, imprévisibles. L’exaspération des habitants grandit face à ce qu’ils qualifient désormais d’”abandon organisé ”
Mais alors qu’ils réclament à cor et à cri des solutions durables, les autorités locales leur offrent… un festival. Concerts, danses, feux d’artifice : l’événement, financé en partie par des fonds publics, est censé redonner le sourire. Ironie cruelle : pendant que les artistes chantent, les citoyens cherchent où remplir leurs bidons
“On ne peut même pas se doucher, mais on peut danser ! “, ironise une habitante du quartier Nahda, en tenant à la main un seau vide
Le contraste est saisissant : d’un côté, les cortèges de jeunes portant des jerricanes, errant à la recherche d’un point d’eau ; de l’autre, une scène montée avec des éclairages de dernière génération et des installations hydrauliques… pour rafraîchir les artistes
Khouribga n’est pas n’importe quelle ville. Elle est le cœur battant du phosphate marocain, géré par l’Office Chérifien des Phosphates (OCP), fleuron national. Chaque jour, des tonnes de phosphates y sont extraites, transformées, exportées. Une richesse souterraine qui ne se traduit guère dans les infrastructures de surface
“On exporte la richesse, mais on importe la misère hydrique “, déplore un enseignant du lycée Ibn Yassine
Les autorités locales, elles, parlent de “conjoncture exceptionnelle”, de “pression sur les ressources” et “d’efforts pour mobiliser les forages”. Mais pour les habitants, ces explications ont un goût amer. Car comment justifier de telles pénuries dans une ville censée être un modèle de développement durable ? Pourquoi, en pleine crise de l’eau, dilapider des millions dans des festivités jugées déplacées
Les réseaux sociaux bouillonnent. Des vidéos montrant des femmes et des enfants faisant la queue pour avoir de l’eau côtoient des extraits du festival. Des hashtags comme #KhouribgaAsoiffée ou #FestivalDeLaHonte fleurissent. Certains évoquent même un nouveau ” mépris social institutionnalisé “
“On a besoin d’eau, pas de tam-tams “, s’indigne un jeune activiste local. ” Le festival, c’est de la poudre aux yeux pour cacher la sécheresse de la gouvernance”
Face à cette montée de colère, la municipalité reste mutique. Interpellée par des associations de quartier et des collectifs citoyens, elle se contente de renvoyer à l’État ou à l’OCP la responsabilité du problème
La juxtaposition d’un festival fastueux et d’une crise hydrique aiguë n’est pas anodine. Elle incarne, pour beaucoup, une rupture de plus entre le pouvoir local et les préoccupations du terrain. Elle rappelle que dans certaines régions du Maroc, les priorités ne semblent plus alignées avec les besoins réels des populations
Et pendant que les notes de musique s’envolent dans le ciel de Khouribga, c’est la confiance qui s’évapore un peu plus chaque jour