
Chouaib Sahnoun
Sous un froid mordant, les pieds nus enfoncés dans la neige et le silence des montagnes comme seul témoin, les femmes et les enfants de la localité de Boutferdal, dans la région de Béni Mellal, ont fait de la rue , ou plutôt des sentiers enneigés ,leur ultime tribune. À défaut d’un État présent, ils marchent, bravent le gel et risquent leur vie pour réclamer ce qui devrait relever de l’évidence : dignité, sécurité et droits élémentaires.
Ce n’est pas la première fois que ces populations marginalisées se soulèvent. Une précédente mobilisation, visant simplement à obtenir un centre d’accueil pour les jeunes filles contraintes de parcourir de longues distances pour rejoindre leurs établissements scolaires, s’était soldée par une répression brutale. Les forces de l’ordre avaient alors été mobilisées non pas pour protéger ces citoyennes vulnérables, mais pour les empêcher d’atteindre le chef-lieu régional, Béni Mellal. Comme si leurs revendications représentaient une menace plus grave que la misère qu’elles dénoncent.
Mais l’humiliation n’a pas suffi à les faire taire. Ignorées, méprisées, refoulées, ces femmes ont repris la route de la contestation, déterminées à se faire entendre. Leurs doléances vont bien au-delà d’un simple centre d’accueil : blocage des autorisations de construire, absence de projets de développement, marginalisation chronique, abandon total des services publics. Privées de tout, elles voient leurs enfants hériter du même destin d’exclusion, génération après génération.
Cette tragédie humaine met crûment en lumière le fossé béant que le Roi n’a cessé de dénoncer dans ses discours sur l’équité territoriale. D’un côté, des villes vitrines, suréquipées, choyées par l’investissement public et privé ; de l’autre, des zones rurales et montagneuses reléguées aux marges du Maroc utile, livrées à elles-mêmes, comme si elles appartenaient à un autre siècle.
Boutferdal subit une double peine : la rudesse d’un climat extrême et l’indifférence d’un pouvoir central captif d’une logique oligarchique, où les décisions publiques semblent guidées par les intérêts de quelques-uns plutôt que par l’urgence sociale du plus grand nombre. Ici, l’exclusion n’est pas accidentelle, elle est structurelle. Elle condamne tout un territoire à l’oubli et prive ses habitants du strict minimum pour vivre dignement.
L’injustice est d’autant plus révoltante que cette région regorge de potentialités exceptionnelles, notamment en matière de tourisme de montagne. Paysages spectaculaires, authenticité, richesse culturelle : tout est réuni pour faire de Boutferdal un pôle attractif et un levier de développement durable. Mais là encore, le ministère de tutelle et les investisseurs préfèrent détourner le regard, concentrant leurs efforts sur les destinations déjà saturées comme Marrakech ou Agadir, abandonnant les territoires enclavés à leur sort.
À Boutferdal, ce ne sont pas les ressources qui manquent, mais la volonté politique. Tant que le gouvernement des oligarques continuera de gouverner depuis ses bureaux climatisés, sourd aux cris venus des montagnes enneigées, des femmes et des enfants continueront de marcher pieds nus pour rappeler une vérité simple : le développement ne peut être sélectif sans devenir profondément injuste.




