Chouaib Sahnoun
Paralysie silencieuse dans les officines marocaines. Chaque jour, des dizaines de patients arpentent les rues, ordonnance en main, à la recherche d’un médicament devenu introuvable. Le visage tendu d’un père en quête de l’insuline pour sa fille, l’inquiétude d’une mère ne trouvant plus le traitement pour l’épilepsie de son enfant… Ces scènes, autrefois rares, sont désormais le quotidien de milliers de familles marocaines.
La Fédération marocaine des droits du consommateur a tiré la sonnette d’alarme. Plus de 600 médicaments essentiels sont actuellement en rupture dans les pharmacies du Royaume, dans une crise qu’elle qualifie de « critique et prolongée ». Cette pénurie frappe particulièrement les traitements contre les maladies chroniques , diabète, hypertension, affections cardiovasculaires, troubles neurologiques ou encore certains cancers.
Ali Chtour, président de l’Association marocaine pour la défense des droits des consommateurs, dénonce une situation alarmante :
« Il n’est pas normal qu’un patient fasse le tour de cinq ou six pharmacies sans trouver son traitement. Nous parlons ici de vies humaines, pas de simples produits de consommation. »
Au-delà des défaillances de planification ou de logistique, plusieurs voix pointent la responsabilité de lobbies pharmaceutiques puissants, qui exerceraient une influence sur la chaîne de distribution. Entre spéculation sur les prix, rétention volontaire de certains lots ou priorisation des marchés plus lucratifs à l’étranger, le droit à la santé semble relégué au second plan.
Des soupçons de pratiques opaques circulent : certains laboratoires favoriseraient l’exportation de médicaments au détriment du marché local, en quête de marges plus confortables. Le silence des autorités face à ces agissements alimente la colère des professionnels de santé et des associations de patients.
Face à cette situation, la Fédération appelle le ministère de la Santé à sortir de son attentisme. Elle propose un plan d’urgence articulé autour de trois mesures concrètes :
L’ouverture d’une enquête nationale sur les causes structurelles de la pénurie ;
La création d’un système national de veille pharmaceutique, pour anticiper et réagir aux ruptures ;
L’établissement d’un stock stratégique de médicaments vitaux, mobilisable en temps de crise.
En parallèle, les professionnels du secteur sont invités à adopter une éthique de responsabilité, en mettant fin à toute forme de spéculation ou de rétention volontaire. Le communiqué de la Fédération se conclut par un rappel fort :
« Le droit à la santé ne doit jamais être un luxe réservé à ceux qui ont les moyens ou la chance. C’est un droit universel que l’État doit protéger, sans céder aux logiques de profit.»
Cette pénurie n’est pas un simple problème de logistique. Elle révèle les failles profondes de la gestion du système pharmaceutique marocain, les pressions économiques des lobbies, et surtout, l’abandon progressif d’un principe fondamental : la santé comme bien public non négociable.