Chouaib Sahnoun
Entre croissance fulgurante et désillusion locale
L’Office chérifien des phosphates (OCP), géant marocain des fertilisants, affiche des performances économiques impressionnantes. Sous la houlette de Mostafa Terrab depuis 2006, le chiffre d’affaires du groupe a été multiplié par cinq, atteignant près de 10 milliards d’euros en 2024. L’OCP, fleuron industriel du royaume, contrôle toute la chaîne de valeur du phosphate, s’impose à l’international et se présente comme un levier stratégique de développement pour le Maroc et l’Afrique. Mais ce brillant tableau cache des zones d’ombre, notamment du côté des retombées locales sur l’emploi des jeunes à Khouribga, ville historique du phosphate
Ville minière par excellence, Khouribga est souvent perçue comme la “capitale” du phosphate. Elle abrite l’un des plus vastes gisements du monde et constitue un socle historique du développement de l’OCP. Pourtant, de nombreux jeunes khouribguis se sentent marginalisés dans cette success story nationale. Alors que l’OCP prospère et s’internationalise, le chômage des jeunes reste préoccupant à Khouribga, nourrissant frustrations et sentiment d’exclusion
L’université Mohammed VI Polytechnique, vitrine du savoir et de la recherche, a été implantée à Benguérir, et non à Khouribga. Un choix stratégique, certes, mais vécu comme une invisibilisation symbolique et économique d’une ville qui a pourtant donné ses ressources et parfois ses vies au groupe
Si l’OCP mise sur la formation, l’innovation et la recherche à travers sa prestigieuse université ou ses multiples programmes de partenariats , l’accès des jeunes de Khouribga à ces opportunités reste limité. Les critères d’admission, les barrières sociales, et le manque de dispositifs d’accompagnement local renforcent une impression d’élitisme et de déconnexion
Certains programmes comme “Act4Community” ont certes tenté d’apporter des solutions, en soutenant l’entrepreneuriat ou les initiatives locales. Mais ces actions, souvent ponctuelles et limitées dans leur impact structurel, peinent à répondre à l’urgence sociale d’une jeunesse en perte de repères
Autre point sensible : la politique d’emploi du groupe. Bien que l’OCP emploie 18 000 personnes au niveau national, le recours croissant à la sous-traitance et à l’externalisation a réduit les perspectives d’emploi direct et stable pour les jeunes locaux. Beaucoup d’entre eux se retrouvent cantonnés à des postes précaires, souvent sans perspectives de progression. Le rêve d’intégrer « la maison mère » devient une loterie, alimentant un climat de frustration et de désillusion
Le groupe OCP a les moyens d’être plus qu’un acteur économique : il peut et doit devenir un catalyseur de cohésion sociale et de développement local inclusif. Il ne suffit plus de parler d’Afrique, d’Amérique du Sud ou de Paris ; il faut aussi parler de Khouribga, de ses jeunes, de leurs attentes et de leurs besoins concrets
Car la vraie mesure du succès d’un géant comme l’OCP ne réside pas seulement dans ses performances boursières ou ses partenariats internationaux, mais dans la capacité à faire profiter ses territoires historiques de sa réussite. À Khouribga, le message est clair : les jeunes n’ont pas besoin de promesses, mais de perspectives
Des suggestions concrètes pour l’OCP
Quota d’embauche locale pour les nouveaux projets lancés à Khouribga
Création d’une antenne universitaire ou technologique de l’UM6P à Khouribga
Programmes de formation qualifiante courts pour insérer rapidement les jeunes dans la chaîne de valeur du phosphate
Renforcement des partenariats avec les associations locales, au lieu de les court-circuiter avec des initiatives descendantes
Transparence sur les critères de recrutement et lutte contre le népotisme souvent dénoncé localement
